La sororité des lutteuses : La médaillée d’or olympique Carol Huynh discute d’inclusion et de camaraderie

La sororité des lutteuses : La médaillée d’or olympique Carol Huynh discute d’inclusion et de camaraderie

Quel a été le premier coup de cœur sportif de Carol Huynh (qui mesure 1,57 m)? Le basketball. Cette minuscule joueuse (mais ô combien tenace et rapide!) ne se doutait pas que sa vie allait changer du tout au tout quand sa sœur aînée et rebelle a décidé de pratiquer un sport traditionnellement masculin, la lutte libre. 

« Ma sœur m’a incitée à essayer la lutte, raconte Huynh. Je l’ai vue gagner en confiance. Elle est petite – encore plus que moi! – mais elle a toujours eu une personnalité forte. Quand elle s’est mise à la lutte, elle est soudainement devenue forte physiquement aussi. Elle m’impressionnait! » 


Carol Huynh

Carol Huynh est la première femme canadienne à remporter l’or olympique en lutte (Beijing 2008). 

Le sport favorise les amitiés

Les femmes lutteuses étaient alors encore relativement rares, mais Huynh ne s’est jamais sentie exclue. 

« Plusieurs de mes amies se sont inscrites en même temps que moi, quand nous étions en 10e année. Leur présence a changé la donne. Avec elles, c’était beaucoup plus facile de s’initier à la lutte et d’y prendre goût. »

Ce sentiment d’appartenance caractérise toute la carrière de Carol Huynh : « Ces femmes fortes qui étaient mes coéquipières et mes amies, et ces hommes remarquables qui appuyaient la lutte féminine m’ont fait sentir que les femmes avaient leur place en lutte, et non que “c’était bizarre” ou que “les filles n’étaient pas les bienvenues”. Jamais je n’en ai douté. »

Le père de Huynh a initialement représenté un plus grand obstacle. « Mon père était un homme chinois très traditionnel. Il n’approuvait pas que ses filles luttent. Oh que non. Ma sœur voulait toutefois avoir plus de pouvoir sur sa vie. Avec un père strict qui traitait ses fils différemment de ses filles, elle a dû se battre pour sa liberté. Elle a dû adoucir notre père. Elle y est parvenue par la lutte. Ma sœur m’a tracé le chemin. »

Coéquipières = amies pour la vie

Huynh a rapidement connu du succès dans le cadre du programme de son école secondaire. Elle a compris qu’avec son type corporel, elle irait plus loin en lutte qu’en basketball. Elle a accepté une bourse pour intégrer l’équipe de lutte de l’Université Simon-Fraser.

Emménager à Vancouver avait quelque chose d’intimidant, mais l’équipe de lutte et les amitiés durables qu’elle y a tissées l’ont aidée à composer avec ces énormes changements. 

« Mes coéquipières organisaient souvent des activités pour consolider nos liens. Nous étions tout le temps ensemble sur la route, le plus souvent aux États-Unis, pour compétitionner et nous entraîner. Ces expériences nous ont permis de nouer une amitié profonde : voyager en camionnette, emporter tous nos devoirs, faire le poids nécessaire, séjourner dans des endroits étranges, etc. Les défis rapprochent les gens. Les femmes avec lesquelles j’ai lutté à l’université, ce sont des amies pour la vie. »

En plus de ces amitiés grandissantes, la chance souriait à Huynh. Elle a appris que des coéquipières avaient été admises dans l’équipe nationale et allaient voyager partout dans le monde pour leur sport. « Quelle grande réalisation! Je ne pensais jamais que je pouvais vivre une telle expérience grâce à mon sport. »

Moins d’un an après avoir découvert le championnat du monde, Huynh a obtenu une place dans l’équipe nationale et s’est rendue en Roumanie pour participer au championnat du monde junior. 

« C’était génial. La Roumanie! À ma première année! Moi, qui n’avais que 18 ans et qui venais de Hazelton, une petite ville du nord de la Colombie-Britannique. Quelle expérience! Qui va en vacances en Roumanie avec un groupe d’amies? J’ai vécu tant de belles expériences grâce à la lutte », raconte Huynh. 

Les Olympiques à la portée des lutteuses

En 2000, Huynh et son équipe se sont réunies dans un pub à l’université pour voir leur coéquipier Daniel Igali lutter pour l’or olympique – et l’emporter. « C’était tellement exaltant. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser : “Comme j’aimerais vivre cette expérience!” Mais la lutte féminine n’était pas un sport représenté aux Olympiques. Puis, en 2004, elle y a fait son entrée. Je me suis dit : “Je fais partie de l’équipe nationale depuis combien de temps? J’y vais!” » 

Or, un obstacle s’est dressé sur le parcours olympique de Huynh. Le CIO n’a inclus que quatre des sept catégories de poids pour les femmes. 

« Ma coéquipière Lyndsay a descendu dans ma catégorie de poids. J’ai passé de durs moments dans la salle d’entraînement à l’université. Les deux premières années, je me suis fait battre chaque jour, par tout le monde. Y compris par Lyndsay. » 

« Quand j’ai appris que Lyndsay serait dans ma catégorie de poids, j’espérais encore gagner, mais je n’y croyais plus. Je ne savais même pas comment je serais à la hauteur. Elle me bottait le derrière. »

De rivales à amies et enseignantes 

« En cédant la place à Lyndsay pour 2004, j’ai compris à quel point je voulais faire partie de l’équipe olympique et représenter le Canada. » 

Huynh a compris ce qu’elle avait à faire. « C’est parfois difficile de se regarder dans le miroir, et de prendre conscience de ses faiblesses et de ses lacunes. » Après de sérieuses réflexions, elle a décidé de changer de salle d’entraînement. 

La force de Huynh a toujours été sa vitesse; elle peinait à déjouer les lutteuses plus fortes qui préféraient les combats rapprochés. Elle a choisi le programme rassemblant les athlètes les plus fortes, celles qui maîtrisaient le mieux la lutte rapprochée. Les deux meilleures étaient à l’Université de Calgary. 

« Bon, s’est-elle dit. Je dois aller à Calgary. Je dois régler le problème. »

Là-bas, l’histoire s’est répétée. La partenaire habituelle de Huynh (et la plus féroce) a décidé de descendre de catégorie de poids, lui faisant concurrence pour l’admission à l’équipe olympique de 2008. Encore une fois, une coéquipière et amie devenait sa grande rivale pour une place aux Jeux olympiques.

Cette fois-ci, Huynh s’est concentrée sur sa préparation mentale. « J’ai décidé de la surprendre en montant d’une catégorie de poids pour un événement, afin de l’affronter. Je l’ai battue. J’étais prête mentalement. J’ai pensé : “Voici ce qui t’attend si tu descends dans ma catégorie de poids.” »

Huynh a puisé dans cette force mentale lors des derniers matchs des essais olympiques. « J’ai livré les meilleurs combats de toute ma carrière. » Huynh a remporté les essais, et a finalement reproduit l’exploit réalisé par son coéquipier Daniel Igali huit ans plus tôt : remporter l’or olympique alors que tout le pays l’encourageait.

Le pouvoir de l’inclusion

Aujourd’hui, Huynh est mère et entraîneure de lutte. Elle a organisé un camp de lutte pour femmes, auquel elle a emmené sa fille de cinq ans. 

« Ma fille voulait participer avec les athlètes plus âgées. Elles l’ont toutes incluse, l’invitant à faire partie d’une équipe pour les relais et à participer aux séances de technique. » 

L’olympienne Danielle Lappage a même invité la fillette à démontrer des mouvements aux autres lutteuses.

« C’était tellement mignon, se souvient Huynh. J’ai vu ma fille gagner en confiance car ces femmes extraordinaires l’accueillaient dans leurs rangs. Sa force intérieure me rappelait celle de ma sœur, la confiance que la lutte lui avait donnée. » 

Cette force intérieure grandissante témoigne du pouvoir du sport, de la lutte féminine et de l’inclusion.

Quatre conseils de la médaillée d’or olympique Carol Huynh pour les parents de sportifs

1. Présentez l’amitié avec les coéquipiers comme le principal objectif de la pratique du sport.

« Pourquoi fait-on du sport? Pour le plaisir. C’est une activité sociale. On retrouve régulièrement le même groupe de personnes, avec lesquelles on a des intérêts, des valeurs et des buts communs. Au secondaire, mes coéquipières et moi avons parcouru la province. Nous sommes sorties de Hazelton! C’était excitant et stimulant. J’ai ensuite voyagé partout dans le monde avec mon équipe à l’université. »

« La lutte universitaire m’a tout de suite donné accès à un réseau d’amies. J’avais du mal à participer à des activités sociales pour rencontrer des gens. Grâce à la lutte, j’ai rencontré des femmes fortes et admirables. Ces amies instantanées ont aidé la jeune fille timide que j’étais à s’intégrer à Vancouver. »

2. Faites comprendre à votre enfant que sa performance ne le définit pas et n’a pas d’incidence sur vos sentiments à son égard.

Une semaine avant les essais olympiques pour 2008, Huynh a perdu un match d’entraînement contre sa principale rivale pour la place au sein d’Équipe Canada. Comme elle venait d’arriver à Calgary, elle savait que la plupart des membres de l’équipe appuyaient sa rivale. Comment a-t-elle réagi? Elle s’est tournée vers les personnes qui la soutenaient, dont les membres de son ancienne équipe à Vancouver et celui qui est aujourd’hui son mari, Dan Biggs. 

« Après cette défaite à l’entraînement, j’ai eu une crise de panique. J’ai confronté mes peurs. C’était un moment crucial. Je me suis dit : “C’est normal d’avoir peur, mais tu t’es préparée. Les personnes qui t’aiment vraiment ne se soucient pas que tu gagnes ou perdes. Elles t’aiment peu importe.” Devant une expérience aussi importante que se qualifier pour les Olympiques, j’ai dû me rappeler : Tu n’es pas définie par cette performance. Tu es définie par les valeurs que tu incarnes. »

En acceptant de perdre, et en se rappelant que ses proches accepteraient aussi une défaite, Huynh a pris le chemin de la victoire. 

3. Rappelez à vos enfants que les rivaux ne sont pas des ennemis. Ils peuvent même être des amis. Un compétiteur fait de nous un meilleur athlète.

En 2004 et en 2008, les principales rivales de Huynh pour une place aux Jeux olympiques étaient des amies et coéquipières. Et elles sont ses amies encore aujourd’hui.  

« Les rivaux nous poussent à nous améliorer. Si je comprends quelque chose à propos de mon opposante et que j’apporte un ajustement, et si mon opposante s’adapte ensuite à cet ajustement, nous nous sommes toutes deux améliorées. Oui, nous luttons l’une contre l’autre, mais nous nous entraidons aussi. Nous nous poussons à toujours faire mieux. » 

C’est en respectant cette croissance et ces efforts mutuels que les compétiteurs peuvent rester amis.

4. Cherchez des modèles qui renforcent le sentiment d’appartenance de votre enfant.

« L’inclusion repose sur les modèles. Être une femme qui pratique ce sport, et s’assurer que mes enfants voient ces femmes extraordinaires et fortes et leur mère entraîneure… c’est si important. Mes enfants savent qu’ils peuvent accomplir ce qu’ils veulent. Il nous faut plus de modèles féminins. On doit diffuser plus de sports féminins à la télévision. Tout le monde doit voir ces femmes fortes. Les jeunes athlètes recevront ce message : C’est normal, et tu peux le faire toi aussi. Cela ne doit jamais être remis en question : toute personne peut essayer le sport qui lui plaît et faire de son mieux. » 

Huynh n’a jamais remis en question sa place dans la salle de lutte, grâce aux femmes fortes qui lui ont ouvert la voie.


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