A young girl wearing a backpack holds tight to her mom's hand as they stand in front of a school.

L’anxiété et le déclin du jeu chez les enfants

Pendant la pandémie de COVID-19, on a beaucoup parlé de l’augmentation de l’anxiété et de la dépression chez les enfants et les jeunes. Des études menées dans plusieurs pays, dont le Canada et les États-Unis, ont documenté les effets de la pandémie sur la santé mentale des enfants, des adolescents et des adultes. 

Les raisons étaient évidentes. Les fermetures d’écoles, les confinements et l’éloignement des amis et des membres de la famille ont été éprouvants. Une étude canadienne (en anglais) a souligné une baisse du temps passé à l’extérieur et une hausse du temps d’écran chez les enfants de 0 à 10 ans. Peu importe l’âge, l’augmentation du temps passé devant la télévision, les médias numériques et les jeux vidéos était associée (en anglais) à une hausse de l’irritabilité, de l’hyperactivité, de l’inattention, de la dépression et de l’anxiété.  

On a toutefois oublié de mentionner un fait important : cela faisait déjà des décennies (en anglais) que les taux d’anxiété et de dépression étaient en augmentation. La pandémie n’était qu’un facteur de stress de plus venant s’ajouter à la myriade de difficultés nuisant à la santé mentale des enfants. 

Peter Gray sur le déclin du jeu    

Le professeur de psychologie américain Peter Gray déplore depuis longtemps cette épidémie d’anxiété et de dépression chez les enfants et adolescents, épidémie qui, selon lui et d’autres chercheurs, ne cesse de prendre de l’ampleur depuis au moins les années 1950. Il en a parlé dans un article pour Psychology Today (en anglais) en 2010. 

Il y explique que l’augmentation de l’anxiété et de la dépression n’a apparemment rien à voir avec les dangers et l’incertitude qui assaillent notre monde. Les données sur six décennies ne montrent aucun lien entre cette hausse et la situation économique ou d’autres événements mondiaux qui causeraient supposément du tort à la santé mentale des jeunes. 

Aux États-Unis, les taux d’anxiété et de dépression chez les enfants et les adolescents étaient en fait bien plus bas pendant la Grande Dépression, la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre froide – alors le monde vivait sous la menace constante d’un anéantissement nucléaire – qu’ils ne le sont aujourd’hui. 

Qu’est-ce qui a changé? Selon Peter Gray, il ne faut pas chercher du côté de l’état réel du monde, mais plutôt de la perception qu’en ont les jeunes. C’est plus précisément une question de perception de leur locus de contrôle et de l’impact de leurs expériences de jeu sur celui-ci.

Le locus de contrôle chez les enfants et les jeunes

Si vous croyez que grâce à vos choix, vous pouvez façonner votre vie, vous avez un locus de contrôle interne. Si par contre vous croyez que vos actions ont peu ou pas d’influence sur le cours de votre vie – par exemple votre santé, votre sécurité, votre stabilité financière ou vos perspectives de carrière – et que celui-ci est décidé par des forces qui vous échappent, alors vous avez un locus de contrôle externe.  

Laquelle de ces croyances est la moins susceptible de mener à l’anxiété et à la dépression? Selon les recherches, c’est le locus de contrôle interne. 

Et c’est là le problème. Malgré tous les progrès en matière de santé, de richesse, de liberté et de bien-être général depuis les années 1950, nos jeunes croient de plus en plus qu’ils ne sont pas en contrôle.

Dans un article de 2004 (en anglais), des chercheurs ont analysé des études mesurant le locus de contrôle interne et externe de jeunes adultes de 1960 à 2002. Ils ont découvert qu’au fil de ces quatre décennies, la moyenne des résultats s’était déplacée considérablement vers l’extrémité externe de l’échelle. La proportion des jeunes qui avaient un locus de contrôle externe en 2002 dépassait de 80 % celle de leurs prédécesseurs des années 1960. On a également noté une hausse correspondante de la dépression et de l’anxiété.

M. Gray explique qu’il est raisonnable de penser que la hausse de l’externalité a un lien de causalité avec celle de l’anxiété et de la dépression. Qui plus est, la tendance ne montre aucun signe de ralentissement. 

Selon les résultats d’un sondage (en anglais) mené en 2017 par la American Psychiatric Association auprès de 1 000 résidents des États-Unis, les deux tiers d’entre eux étaient extrêmement ou quelque peu inquiets au sujet de leur santé et sécurité ou celle de leur famille. Plus d’un tiens des répondants étaient plus inquiets que l’année précédente. En 2018, on a mené le même sondage : l’anxiété avait bondi de cinq pour cent.

A father sits on a couch with his young son on his lap. The boy's eyes are closed and his father hugs him.

Locus externe, objectifs extrinsèques  

Dans leur article de 2010 (en anglais) sur les changements de la santé mentale des jeunes de 1938 à 2007, Jean Twenge et ses collègues avancent que la hausse de l’anxiété et de la dépression d’une génération à l’autre est due au fait que progressivement, les objectifs « intrinsèques » sont devenus des objectifs « extrinsèques ».  

Les objectifs intrinsèques sont ceux que l’on poursuit pour son propre développement, comme la recherche de la sagesse spirituelle, celle du plaisir de jouer ou la maîtrise d’un instrument de musique. Les objectifs extrinsèques sont plutôt représentés par des récompenses matérielles et le regard d’autrui. On pense par exemple au statut professionnel ou financier et à l’apparence. 

Plus on croit que ce sont des forces externes qui contrôlent notre vie, plus on se soucie de préoccupations externes. 

Twenge cite des recherches qui affirment que la plupart des étudiants universitaires d’aujourd’hui estiment que d’être à l’aise financièrement est plus important que de mener une vie pleine de sens. C’est complètement le contraire des données des années 1960 et 1970. Et c’est un problème, car nous avons beaucoup plus de contrôle sur l’atteinte de nos objectifs intrinsèques. 

En y mettant l’effort, on peut s’améliorer en tricot, apprendre à jouer du piano ou progresser dans sa quête de spiritualité. Or, même avec tout l’acharnement du monde, la richesse et la célébrité ne sont pas garanties.  

La cause principale : le déclin du jeu?

Peter Gray croit que Mme Twenge a au moins partiellement raison, mais il suggère en outre que l’augmentation d’une génération à l’autre des objectifs extrinsèques, de l’anxiété et de la dépression a pour principales causes le déclin proportionnel du jeu libre chez les enfants et l’importance accrue placée sur la scolarité. Il explique :  

« Historiquement, le jeu libre et l’exploration sont les moyens par lesquels les enfants apprennent à résoudre leurs problèmes, à contrôler leur vie, à développer leurs intérêts et à devenir compétents dans la poursuite de ceux-ci. […] En fait, le jeu, par définition, est une activité contrôlée et dirigée par les personnes qui jouent; il est orienté vers des objectifs intrinsèques plutôt qu’extrinsèques. […] En privant les enfants de la possibilité de jouer seuls, loin de la supervision et du contrôle directs des adultes, nous les privons de la possibilité d’apprendre à avoir le contrôle de leur vie. Nous pensons peut-être ainsi les protéger, mais en réalité nous diminuons leur joie et leur autonomie, les empêchons de découvrir et d’explorer les activités qu’ils aimeraient le plus, et augmentons le risque qu’ils souffrent d’anxiété, de dépression et d’autres troubles. »

Il ajoute que cette période de déclin du jeu libre correspond à la présence de plus en plus importante des activités scolaires et d’activités qui s’y apparentent, comme le sport dirigé par les adultes et les leçons en dehors des heures de classe. 

« En dehors de l’école, les enfants passent de plus en plus de temps dans des environnements où les adultes les dirigent, les protègent, les évaluent, les jugent, les récompensent et répondent à leurs moindres besoins. Ce sont les adultes, et non les enfants, qui sont en contrôle. Et à l’école, on apprend vite aux enfants que ce ne sont pas eux qui choisissent les activités ou sont les meilleurs juges de leurs compétences. Ce sont les enseignants qui décident de tout. »

M. Gray croit – tout comme les penseurs de l’éducation Ken Robinson et Joseph Chilton Pearce – que l’approche traditionnelle de l’éducation et du sport hyper organisé empêche les enfants de développer une motivation intrinsèque, voire même une identité propre.

Three girls stand on the grass outside and laugh as they hula hoop together.

Que pouvons-nous faire?  

Le point de vue d’experts comme Gray, Robinson et Chilton Pearce est contesté par les tenants du système d’éducation en place et du sport hyper organisé chez les enfants. On peut en effet affirmer qu’il y a beaucoup d’autres facteurs qui influencent le développement des enfants pendant leurs premières années de vie et leur éducation primaire et secondaire. Pensons notamment aux téléphones intelligents, aux médias sociaux et à la culture de consommation de masse. Nul doute, c’est un problème complexe. 

Mais il existe des façons de commencer à contrer les effets les plus néfastes de l’éducation et de la culture de masse. Nous pourrions commencer par reconnaître l’importance de la nature et de la notion d’habiter son corps dans le développement de l’enfant. Il faut également favoriser leur autonomie en cultivant un état d’esprit ouvert à l’effort

Le but, c’est de découvrir les véritables sources d’anxiété de notre enfant et d’éviter les suppositions simplistes qui n’ont aucun lien avec les données réelles. 

Qu’en pensez-vous? N’hésitez pas à commenter ci-dessous.


Pour en savoir plus sur le bien-être chez l’enfant :

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